Les apports de la médiation conventionnelle, judiciaire et administrative en matière d’aménagement et d’urbanisme.
Comment et quand recourir à la médiation ? Qui en sont les prescripteurs et quels en sont les bénéfices ? Une interview de Catherine Trebaol par Sophie Mazeran parue dans la revue CadredeVille le 7 septembre 2019.
Cadre de Ville – Pourquoi recourir à la médiation en matière d’urbanisme et d’aménagement ?
Catherine Trébaol – Le recours devant le tribunal administratif porté par un tiers riverain au moment de l’affichage d’un permis d’aménager est fréquent. Cette action contentieuse met immédiatement l’édile en difficulté : il va devoir mobiliser ses services pour défendre l’intérêt de la collectivité, tout en étant confronté au temps de la procédure, ainsi qu’à l’aléa judiciaire de plus en plus prégnant ces dernières années. Sans oublier que son mandat risque d’être trop court pour pouvoir « sortir l’opération ».
La médiation représente alors une alternative intéressante, car elle peut être mobilisée dès les prémices d’un litige (les tensions autour d’une opération interviennent souvent bien avant que les autorisations d’urbanisme soient délivrées). Au travers d’une médiation, la collectivité peut faire connaître ses exigences d’insertion urbaine et ses besoins : elle-même a en effet des intérêts à préserver.
Certes, tout conflit peut prendre une tournure complexe, mais la médiation constitue un outil efficace pour le dégonfler, le gérer et minimiser ses coûts. La médiation garantit, en outre, la confidentialité de l’affaire, contrairement à un conflit judiciarisé dont le retentissement sur un mandat politique n’est jamais souhaitable.
Et la médiation constitue une première phase dans la recherche d’une solution de règlement d’un différend qui n’obère pas la possibilité ensuite de se pourvoir en justice, les parties y trouvent une ouverture préalable à une négociation ultérieure en ayant purgé certains points de désaccord dans le cadre de l’accord de médiation.
En droit public, on parle de médiation administrative. Elle encadre les conflits entre une personne publique (collectivité territoriale ou satellite d’une collectivité dans laquelle celle-ci a des intérêts) et d’autres personnes publiques ou privées. Elle est régie par les articles L. 213-1 à L213-10 du Code de justice administrative.
« Pour un aménageur ou un promoteur, lorsque le caractère non abusif du recours est établi, la médiation apporte un gain de temps et un bénéfice financier, car plus rapide qu’une procédure judiciaire »
Côté aménageur, promoteur ou propriétaire vendeur, l’annonce d’un recours fait malheureusement partie des « difficultés » récurrentes. Lorsque le caractère non abusif du recours est établi, les parties prenantes ont également intérêt à recourir à la médiation. Les avantages tiennent ici surtout dans le gain de temps et le bénéfice financier : la médiation étant un processus plus rapide qu’une procédure judiciaire.
Le contexte de l’aménagement et de l’immobilier rassemble des acteurs qui se connaissent et sont amenés à rester en relation pendant des périodes longues. Aussi, conserver une bonne réputation et conforter son réseau professionnel est une nécessité. La médiation permet alors de gagner du temps et de reconstruire la confiance entre personnes amenées à retravailler ensemble.
Le recours à la médiation s’avère, par ailleurs, fécond si l’on s’aperçoit qu’il va falloir mettre en cause une partie non présente au démarrage du conflit : la médiation offre cette souplesse de pouvoir réunir autour de la table, au fur et à mesure des réunions, des interlocuteurs nouveaux que le médiateur décide de convier.
CdV – Quelle temporalité pour la médiation administrative ?
CT – La médiation administrative peut intervenir à n’importe quel moment : en cours de procès ou avant tout procès. Première hypothèse, l’autorisation d’urbanisme est délivrée et la collectivité est mise en cause devant le tribunal administratif. La médiation administrative peut néanmoins être envisagée. Elle interrompt alors les délais de recours (article L. 213-6 du Code de justice administrative). Le médiateur, désigné par le juge, possède généralement des qualifications dans le litige en cause qui lui permettent de questionner de manière pertinente les parties pour leur permettre de trouver des points d’accord. Cette médiation peut être proposée par le juge à tout moment de la procédure : à l’enregistrement de la requête, pendant l’instruction ou même après un jugement avant-dire droit, voir après un jugement définitif.
Deuxièmement, les tensions sont identifiées avant le recours contentieux. Pour l’éviter et permettre à chaque partie d’être entendue dans ses craintes et ses attentes, les parties (porteurs de projet ou riverains) peuvent, soit demander au président du tribunal administratif ou à la cour administrative d’appel d’organiser une médiation sans que le juge n’intervienne, sauf pour l’homologation de l’accord si les parties le souhaitent, soit mettre en place une médiation en dehors de toute procédure juridictionnelle. En tant que partie prenante, l’élu peut déléguer une personne compétente (ou plusieurs) émanant de ses différents services (urbanisme, mais aussi foncier ou techniques) pour participer à cette médiation conventionnelle.
Au final, la médiation permet à chacun d’exprimer son point de vue lié aux spécificités techniques de son corps de métier et par l’entremise du médiateur, tous se retrouvent dans une attitude constructive d’acteur du projet. Cela permet de faire avancer le dossier en amont du dépôt du permis d’aménager, ce qui s’avère impossible après le dépôt de l’autorisation au vu du nouveau régime d’instruction des autorisations d’urbanisme qui ne permet plus depuis 2011, des allers et retours avec les services instructeurs.
CdV- Comment distinguer la médiation des autres modes alternatifs de résolution des litiges ?
CT – Les modes alternatifs de résolution des litiges comprennent outre la médiation, la conciliation par le juge ou encore le recours à un auxiliaire de justice, qui est présent dans tous les tribunaux d’instance (on parle alors de « conciliateur de justice »).
L’article 1530 du Code de procédure civile donne une définition de la médiation et de la conciliation qui s’entendent de tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence.
Cependant, la distinction avec la médiation peut se faire dans le processus et dans la pratique observée dans les tribunaux d’instance. Les conciliateurs, bénévoles, sont très sollicités et privilégient leur assistance à des personnes pour lesquelles, cette aide gracieuse est la seule possible (bien que l’aide juridictionnelle puisse être versée à une partie dans le cadre d’une médiation).
Les litiges de l’aménagement s’illustrent généralement par leur complexité et il n’est pas rare que les parties sollicitent dans le cadre de la médiation leurs conseils (avocats) ou des tiers-sachants pour éclairer les faits. Or les conciliateurs de justice ne peuvent faire appel qu’à un autre conciliateur et in fine c’est le conciliateur ou les conciliateurs qui proposeront une solution, à l’inverse de la médiation dans laquelle les parties la construisent ensemble.
Il existe également la médiation de la consommation parmi les modes de résolution amiable des litiges. Gratuite, elle s’applique exclusivement à un litige opposant un consommateur à un professionnel, vendeur de produits ou prestataire de services.
« La médiation permet à des personnes néophytes en matière d’aménagement de bénéficier d’une écoute des autres parties prenantes professionnelles, d’exprimer leurs besoins et pas seulement leurs intérêts. Ces temps d’échanges favorisent le passage d’une logique de positions à une logique de l’intérêt commun »
Les notaires, architectes, géomètres et huissiers de justice disposent d’un médiateur chargé de régler les différends avec leurs clients consommateurs. Mais face à la complexité des opérations d’aménagement et d’urbanisme, entremêlant bien souvent des responsabilités partagées, la médiation de la consommation est souvent peu propice, notamment dans la phase amont des opérations. En effet, la médiation de la consommation n’offre pas la possibilité des échanges en vis-à-vis, incluant l’écoute empathique, la compréhension des enjeux ou la particularité du contexte et des situations de chacune des parties. Elle aboutira à une proposition de solution émise par le médiateur de la consommation, et non à des points d’accords construits par les parties elles-mêmes. Toutefois, il s’agit néanmoins d’un mode de résolution amiable des conflits dans le cadre d’un processus respectant la confidentialité avec l’aide d’un tiers neutre, formé à la résolution des conflits.
CdV – Quels dossiers se prêtent plus particulièrement à la médiation ?
CT – La plupart des recours contentieux sont liés à des résistances dont l’origine se situe en dehors du conflit dont il est l’objet. Les dossiers favorables à la médiation sont ceux dans lesquels les questions de fait sont prédominantes.
La médiation permet à des personnes néophytes en matière d’aménagement de bénéficier d’une écoute des autres parties prenantes professionnelles, d’exprimer leurs besoins et pas seulement leurs intérêts. Ces temps d’échanges favorisent le passage d’une logique de positions à une logique de l’intérêt commun. Il en ressort souvent une solution enrichie par le partage d’idées, qui ne peuvent surgir au stade contentieux.
La médiation doit aboutir à un accord respectant l’ordre public : par exemple, un accord tripartite entre un propriétaire foncier, un aménageur et une collectivité permettant la mise en compatibilité du document d’urbanisme.
Dans le cadre de la médiation, les explications fournies par les services de la collectivité auront facilité l’adhésion des acteurs du projet (professionnels ou non). La négociation des intérêts de chacun aura été comprise et lors de la phase ultérieure du projet (l’enquête publique), les élus y gagneront en sérénité, sachant qu’une certaine forme de concertation a eu lieu avec les principaux intéressés. De fait, les risques de recours baissent ensuite.
La médiation est aussi appropriée pour des dossiers où les parties sont nombreuses et non constituées en association. Elles peuvent alors se rendre compte de leurs besoins similaires sans avoir à se constituer en personne juridique commune (conflit opposant des riverains à l’aménageur).
CdV – Comment trouver un médiateur et quelle procédure s’enclenche par la suite ?
CT – Les médiateurs sont référencés dans des associations ou fédérations de médiateurs, présentes au niveau national ou régional. Dans le cadre de la médiation dite conventionnelle, c’est-à-dire en dehors de toute procédure juridictionnelle, ce sont les parties elles-mêmes qui choisissent leur médiateur.
Dans le cadre des médiations judiciaires, le juge dispose de listes de médiateurs dont les compétences par domaine permettent leur utile désignation (tribunaux d’instance, cours d’appel, tribunaux administratifs et cours administratives d’appel).
En médiation conventionnelle, le médiateur est sollicité à la demande d’une des parties, puis prend contact avec l’autre partie pour vérifier son adhésion à la médiation. Après une vérification du pouvoir réel des médiés, le médiateur les réunit dans un lieu neutre et leur demande de signer un engagement de confidentialité.
Si des conseils sont présents la procédure est similaire. Le médiateur installe les règles de la participation et du respect de la parole de chacun, puis donne la parole à tour de rôle aux parties prenantes. Des apartés peuvent être nécessaires, comme des séances successives.
L’accord issu de la médiation, rédigé par les parties avec l’aide de leurs conseils éventuels et du médiateur, peut faire l’objet d’une homologation par un juge.
Le temps de la médiation judiciaire doit être accompli dans un délai de six mois à compter de la désignation par le juge, mais peut se prolonger avec l’accord des parties qui continuent à se rencontrer dans le cadre d’une médiation conventionnelle.
Dans les médiations judiciaires, les parties sont appelées par le greffe à consigner les honoraires du médiateur. Le médiateur tient au courant le juge du processus de médiation, mais pas de son contenu.
S’agissant de la médiation conventionnelle, les honoraires du médiateur et ses modalités de versement sont convenues entre les parties et le médiateur dans le cadre d’une convention de médiation.
« Il faut former les futurs agents des collectivités territoriales, pour leur expliquer le fonctionnement de la justice du 21e siècle, et leur faire connaître les différentes formes de médiation »
CdV – Quels seraient les freins à lever pour que la médiation puisse prendre son véritable envol ?
CT – La médiation en matière d’aménagement et d’urbanisme commence à intéresser les porteurs de projet en raison des intérêts pluriels qu’elle offre : célérité, suspension des délais de recours, économie de moyens et confidentialité assurée. Pourtant, il faut qu’elle soit encouragée au sein de la juridiction administrative par les barreaux, les médiateurs institutionnels, le défenseur des droits ou encore les avocats.
Les centres de gestion de la fonction publique territoriale qui la pratiquent pour les litiges sociaux internes chez leurs adhérents devraient pouvoir s’entourer de médiateurs compétents en droit de l’urbanisme et de l’environnement.
L’approche croisée de nos métiers d’origine (architectes, urbanistes ou aménageurs) nous permet de saisir à la complexité des dossiers parce que chaque opération est un prototype et fait appel à une empathie que nous possédons tous, et la médiation met en culture tous ces ingrédients.
Il faut aussi former les futurs agents des collectivités territoriales pour expliquer le fonctionnement de la justice du 21e siècle et faire connaître les différentes formes de médiation. Il est, en outre, nécessaire que les associations de médiateurs soient présentes aux audiences des tribunaux administratifs et des cours d’appel administratives pour que les juges puissent proposer l’orientation vers la médiation en séance.
Notons que la loi 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, permet à tout juge civil d’enjoindre les parties à un litige à rencontrer un médiateur afin de les inciter à poursuivre une procédure de médiation. Elle met également en place une obligation de résolution amiable des litiges, préalablement à toute saisine du juge devant le tribunal de grande instance, pour les recours tenant au paiement d’une somme inférieure à un certain seuil (à définir par décret) ou relatifs à un conflit de voisinage (bornage, servitude, etc.). Cette disposition entrera en vigueur le 1er janvier 2020.